Pour un lecteur du XIXème siècle, blasé par les prouesses de la NASA, le diptyque spatial des Aventures de Tintin (Objectif Lune/On a marché sur la Lune) n’aura assurément pas le même charme que pour un lecteur des années 1950, à une époque ou le programme Apollo n’est encore qu’un projet ambitieux et un peu fou.
Pourtant, l’album Objectif Lune dans la collection Archives Tintin parvient à rendre parfaitement cette ambiance d’émerveillement face aux prouesses technologiques qu’exigera la conquête spatiale.
Mention particulière cette fois quand à l’emballage dans lequel ce volume m’est parvenu: adieu enveloppe cartonnée! Cette fois, l’album et la figurine qui l’accompagne ont été envoyées dans une boîte en carton digne de ce nom. Un emballage solide et dont le contenu ne risque pas de s’échaper si facilement. Mon hypothèse s’avère donc exacte: Atlas ne soigne pas les premiers envois.
Voici ce que contient exactement l’album
JOURNAL 1950-52 (PP. 5-7)
LES TROUPES NORD-CORÉENNES FRANCHISSENT LE 38E PARALLÈLE – OPÉRATIONS EN CORÉE – LE GÉNÉRAL MACARTHUR EN DISGRÂCE – MOSSADEGH NATIONALISE LE PÉTROLE ANGLAIS – LE PRINCE BAUDOUIN ROI DES BELGES – L’ÉGYPTE S’ENFIÈVRE POUR LE CANAL DE SUEZ – CRÉATION DE LA CECA – GUERRE EN INDOCHINE – LE GÉNÉRAL NAGUIB MAÎTRE DE L’ÉGYPTE – TROUBLES EN TUNISIE – EN BREF – SUR LES ÉCRANS
LES SOURCES DE L’ŒUVRE (PP. 8-12)
LES FONDATEURS – LES NÉOPTHYTES ENTHOUSIASTES – LES RECHERCHES ALLEMANDES – L’APRÈS-GUERRE – LES SOURCES D’HERGÉ – HERGÉ RÊVEUR MAIS EXIGEANT
REVUE DE DÉTAILS (PP. 13-17)
TINTIN ET HADDOCK ONT PRIS PLACE DANS UNE DODGE CORONET – L’AVION DE LIGNE BRUXELLES-KLOW – L’HÉLICOPTÈRE – L’USINE DE SBRODJ – LA PILE ATOMIQUE – LA FUSÉE D’ESSAI – LE DAMIER – LE TÉLÉSCOPE DU CENTRE DE SBRODJ – LE SCAPHANDRE LUNAIRE
LES SECRETS D’UNE CRÉATION (PP. 18-22)
UN CASQUE À TOUTE ÉPREUVE – UNE BONNE NATURE – UNE CHUTE INATTENDUE – UN COLLABORATEUR ESSENTIEL – VERS LA CLARTÉ
LES ACTEURS (PP. 23-30)
TINTIN – HADDOCK – TOURNESOL (LA MUTATION OU TOURNESOL MODÈLE 43, MODIFIÉ 50 – L’ÉNIGME TRYPHON TOURNESOL – LA RÉVÉLATION DU CARACTÈRE – DIES IRAE – DIAGNOSTIC) – DUPONDT – BAXTER – JORGEN – JIM – MICHEL – MILLER – ROTULE – WALTHER – WLADIMIR – WOLFF – PARMI LES FIGURANTS, NOUS REMARQUONS (UNE HÔTESSE DE L’AIR – UN DOUANIER SYLDAVE – DES CHAUFFEURS DE MAÎTRE – LE PERSONNEL DU SERVICE DE SÉCURITÉ- DES DESSINATEURS DE BUREAU D’ÉTUDES – LE PERSONNEL TECHNIQUE SPÉCIALISÉ)
PENDANT CE TEMPS… HERGÉ (PP. 102-124)
CHRONOLOGIE HERGÉ 1950-1952 – TINTIN LECTEUR DE PARIS MATCH – LES AUTRES HÉROS (QUICK ET FLUPKE) – LES AUTRES ACTIVITÉS (LA PRESSE – L’ÉDITION – PUBLICITÉS ET PRODUITS DÉRIVÉS – COLLECTION « VOIR ET SAVOIR »)
COLLECTIONNEURS ET COLLECTIONS (PP. 125-128)
COUVERTURES ET COTES DES DIFFÉRENTES EDITIONS DE L’ALBUM – BIBLIOGRAPHIE – EDITIONS ÉTRANGÈRES ET TRADUCTIONS RÉGIONALES
Voici mon avis détaillé sur le contenu.
I. Préface
Journal 1950-1952
Un panorama de l’actualité qui insiste trop, à mon avis, sur les conflits armés de l’époque pourtant absents de l’album. En revanche, pas un mot des tests V2 effectués à l’époque par la NASA et des lancements de fusées R-1 par l’Union soviétique, deux faits d’actualité qui auraient mérité une place dans ces pages.
Les sources de l’œuvre
Les auteurs nous plongent dans le contexte historique et technique du rêve le plus fou de l’humanité : la conquête de l’espace. Ils évoquent les principaux acteurs de ce rêve ainsi que les sources documentaires de Hergé. Une lecture enrichissante dont on regrette qu’elle ne dure que quelques pages.
Revue de détails
Et des détails, il y en a dans cet album qui est assurément le plus « technique » des aventures de Tintin. Fusées, télescopes, scaphandres, pile atomique, sans oublier les voitures, avions et hélicoptères. Un vrai travail de recherche, qui contraste avec la rubrique suivante…
Les secrets d’une création
Caramba, encore raté ! Je n’ai rien, à titre personnel, contre Philippe Goddin. Ses Chronologies d’une œuvre témoignent d’ailleurs de sa passion et de ses capacités à partager cette passion. Mais sa contribution aux Archives Tintin au travers de la rubrique Secrets d’une création reste décevante – une revue de Détails tout au plus… bigre, mais c’est l’intitulé de la rubrique qui précède la sienne ! Je sais, je me répète d’un billet à l’autre, mais l’intitulé « Secrets d’une création » est trop engageante pour ne pas décevoir à la lecture. Peu de véritables « Secrets » y sont dévoilés. Pourtant, nous savons que Goddin en connait de nombreux… Par exemple, s’il évoque bien la participation de Bob De Moor à cet album, il passe totalement sous silence la contribution la plus spectaculaire de celui-ci : les tours de montage, rendues avec une minutie de détail qui frise l’obsession, que l’on découvre sur la couverture ainsi qu’à la planche 56 de l’album. Caramba, encore raté !
Les acteurs
Toujours pertinente, parfois un brin impertinent, la revue des personnages de l’album est à nouveau particulièrement intéressante. D’autant que cette fois, les auteurs s’intéressent de près au personnage le plus haut en couleurs de la famille Tintin : le professeur Tournesol. Un vrai moment de bonheur.
II. L’album
L’essentiel des 62 pages de l’aventure se déroule en huis-clos, dans l’usine de Sbrodj. Une formule dangereuse, dans laquelle, nous la savons à présent, Hergé s’est senti mal à l’aise. Heureusement, le huis-clos est l’excuse pour parsemer l’album de nombreux gags afin d’égayer cette aventure. Elle se termine d’ailleurs sur un climax au suspens intense : la fusée à décollée avec succès, mais nos héros ont-ils survécu au décollage ?
III. Postface
Quel chemin parcouru depuis son bureau à la rédaction du journal le XXème siècle. Hergé est à présent à la tête de sa propre entreprise, un studio qui compte de nombreux collaborateurs auxquels il délègue une partie de son travail. Tintin devient ainsi une œuvre collective, avec bien entendu Hergé à la barre, mais enrichi par le talent des artistes dont il s’entoure afin qu’ils réalisent les décors, la mise en couleur, etc.
On mesure ici à quel point le monde de la bande-dessinée a évolué après la guerre : d’une simple « farce », la réalisation d’un album Tintin est devenue une entreprise complexe, nécessitant une quantité de travail dont les lecteurs ont rarement conscience.
La chronologie évoque également les difficultés personnelles de Hergé : sa perte de motivation face à une œuvre qui a déjà atteint un niveau monumental, et sans doute face au niveau d’exigence qui s’est considérablement accru au fil des années. Hergé craque sous la pression, s’absente durant plusieurs mois, puis reprend le fil de l’histoire. Mais quelque chose s’est brisé définitivement.
Enfin, pour les amateurs, notons que les dernières pages sont entièrement consacrées aux chromos « Voir et Savoir » avec de nombreuses reproductions desdits chromos.
Conclusion
Un volume à la hauteur de mes espérances, riche en documents et analyses qui mettent en perspective l’album. Bien entendu, les auteurs on gardé quelques informations en réserve, sans doute pour mieux rebondir dans l’album suivant, On a marché sur la Lune. Hélas, dans la séquence d’envoi des éditions Atlas, l’album suivant ne sera pas On a marché dans la Lune. Il me faudra donc patienter avant de découvrir la suite…