A présent que j’ai lu l’entièreté de l’Album « Le Secret de la Licorne », voici mon avis détaillé sur le contenu.
I. Préface
Journal 1942-43
Présentée comme s’il s’agissait d’un véritable journal, cette section de 3 pages relate les événements marquants de l’actualité de l’époque sous forme d’articles courts et situe ainsi parfaitement le contexte historique de la parution de l’album. Instructif et agréable à lire.
Les sources de l’œuvre
Cette courte section de 4 pages approfondit encore le contexte historique de l’album : en raison de l’occupation Allemande, Hergé a des contraintes lorsqu’il choisit le thème et la destination des aventures de Tintin. Ensuite, les auteurs évoquent brièvement le château de Moulinsart et son modèle, le château de Cheverny. Je suis un peu resté sur ma faim, mais cette section sert en réalité d’introduction à la suivante…
Revue de détails
Dans cette rubrique fourre-tout, au demeurant fort intéressante, on en apprend plus sur : les raisons de l’absence relative d’automobiles dans cet album, les costumes portés du temps du Chevalier de Hadoque, les vaisseaux de la marine Française de l’époque, un ouvrage dans lequel Hergé a puisé abondamment pour cet album, la façon dont étaient calculées les coordonnées géographiques par les marins de l’époque (important pour situer l’île sur une carte), et une foule d’autres détails (armures, vocabulaire marin, grade militaire du Chevalier de Hadoque, etc.).
A ce stade, j’ai le sentiment qu’il manque parfois un peu de « structure » dans cette Préface. Mais ça n’enlève rien à la qualité et l’intérêt du contenu.
Les Secrets d’une création
Jusque là, le lecteur a eu droit à des illustrations issues directement des albums ou à des reproductions d’autres documents, non-hergéens (photos de presses, illustrations de livres ayant inspirés Hergé, etc.). Dans cette section, on peut enfin découvrir quelques illustrations originales (carnet de croquis, dessins, etc.). Il est dommage qu’elles ne portent pas toutes une référence… C’est le cas de la magnifique illustration représentant Tintin et Milou au marché aux puces, avec une mise en couleur dans des tons plus « pastel » que dans les albums, pour laquelle aucune référence n’est donnée. Dommage.
Quant au texte, il aborde à nouveau un tas de sujets différents : l’intérêt récent d’Hergé pour les objets de marine, l’évolution des dessins de la Licorne, le travail de recherche d’Hergé en matière de manœuvres navales, l’incident du pavillon pirate mal attaché, le cahier qu’Hergé tient en vue de la publication de l’histoire en album, etc. Le sentiment de « manque de structure » persiste ici. Secrets d’une création et Revue de détails auraient pu être regroupés en une seule section. Mais le contenu reste intéressant et de qualité.
Les acteurs
Dans cette section, la plus longue de la préface (13 pages), les auteurs passent en revue les personnages majeurs et secondaires qui apparaissent dans l’Album. Pour les personnages familiers (Tintin, Milou, Haddock, les Dupondt), ils insistent sur l’évolution des personnages par rapport aux albums précédents. Pour Tintin, par exemple, les auteurs commentent l’évolution graphique du personnage, mais aussi l’évolution vestimentaire qu’Hergé lui fait subir.
Pour les personnages secondaires, les auteurs pêchent parfois par souci d’exhaustivité. Ils n’ont rien à dire sur « Barnabé » par exemple, le court paragraphe qui lui est consacré se contente donc de décrire le personnage sur le plan physique et de résumer son rôle dans l’album. Par contraste, les paragraphes consacrés à Aristide Filoselle donnent lieu à une véritable analyse du personnage. C’est bien là que réside la valeur ajouté de cette rubrique par rapport au « Dictionnaire des noms propres Tintin » de Cyrille Mozgovine ! Une mention particulière, enfin, pour l’analyse très pertinente du personnage de Nestor, ainsi que pour l’encart consacré aux concierges dans les aventures de Tintin. C’est ce genre de contenus qui font toute la richesse des « Archives Tintin ».
Annonces et inédits en album
La rubrique la plus attendue par les tintinophiles passionnés. Celle où on fait l’inventaire des différences entre la version parue dans le journal Le Soir, et celle publiée sous forme d’album. Elle se limite à deux pages : la première reprend quatre illustrations publicitaires pour l’album, parues dans Le Soir, la seconde reprend les vignettes parues dans Le Soir et non-reprises dans l’album. Simple, bref mais efficace.
Sur le coup, je suis partagé entre « un petit commentaire aurait été la bienvenue » et « c’est vrai que je n’ai pas besoin qu’on m’explique pourquoi Hergé a rayé ces cases ou séquences de l’album ». Par exemple, le dernier Strip paru dans Le Soir n’a pas été repris dans l’album pour la bonne et simple raison qu’il s’agit d’une sorte de « teaser » pour le second épisode, à venir, le Trésor de Rackham le rouge, suivi de l’annonce faite par Tintin du feuilleton en images « Juck & Jimbo » qui remplace temporairement Tintin dans Le Soir.
II. L’album
Après la préface, l’œuvre. Les 62 pages de l’aventure sont bien connues et appréciées de tous, elles se passent de commentaire.
III. Postface
Rubrique également intitulée « Pendant ce temps… Hergé ! ». Les auteurs y évoquent d’abord, sur trois pages et chronologiquement, les événements qui touchent à la vie personnelle d’Hergé (ce qui paraît de lui et dans quelles publications, les rencontres qu’il fait, etc.). Les pages comportent des photographies de périodiques et livres de l’époque, ainsi que la reproduction de la planche originale de la première page de l’Album.
Ils enchaînent ensuite en détaillant la production d’Hergé de ces années : les séries de Hergé parues dans la presse, les illustrations faites par Hergé pour des cartes postales (les reproductions des cartes postales s’étendent sur sept pages, avec un index des cartes – on suspecte la patte de l’archiviste Philippe Godin, même s’il n’est crédité que pour la section « Les Secrets d’une création »). Certes, ces quelques pages sont loin d’égaler ce qu’on trouve dans les volumes de « Chronologie d’une œuvre », mais les choix opérés sont judicieux.
Ainsi, les trois pages consacrées à l’édition, c’est-à-dire au travail fourni par Hergé pour Casterman, sont particulièrement intéressantes dans cet album. En effet, en 1942, Casterman décide de remplacer les couvertures des albums à « petite vignette » par des couvertures illustrées en pleine page ! C’est donc cette année là qu’Hergé re-dessine les couvertures des albums déjà parus, et on découvre ici la plupart des couvertures qui nous sont encore familières aujourd’hui. Un moment très important dans l’évolution des albums.
Conclusion
Avec ce volume des « Archives Tintin », Jean-Marie Embs et Philippe Mellot réussissent le pari de rester accessibles au « grand publique » tout en suscitant l’intérêt des tintinophiles « passionnés ». Les documents présentés en pré- et en postface sont pertinents et de qualité, les textes ne tombent pas dans le piège de l’étude « universitaire » de l’œuvre et de ses sources. Un moment d’immersion, plaisant pour l’amateur et le passionné, dans le monde d’Hergé et de Tintin, mais aussi de notre histoire (celle avec un grand H) qui se dessine en filigrane de l’ensemble de l’œuvre d’Hergé.
J’ai une information intéressante concernant la Licorne, je vais la rendre publique dans un livre à paraître en septembre aux Impressions Nouvelles.